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On les appelle les remplaçantes

 

Loin des tranchées et des souffrances des combats, les femmes ont contribué à l’effort de guerre en assumant, à l’arrière, les tâches qui incombaient aux hommes avant qu’ils ne partent au front. Longtemps oublié, le rôle des femmes pendant le conflit est depuis plusieurs décennies un objet d’étude à part entière pour les historiens.

 

Cinq questions à Françoise Thébaud, historienne, spécialiste de l’histoire des femmes et du genre

 

Quelle place les femmes ont-elles pris pendant la Première Guerre mondiale ?

Un rôle important même s’il évolue au fil du temps. Au début de la guerre, dont on pense qu’elle sera courte, on leur demande de laisser courageusement partir leurs hommes, de les soutenir au front, d’être fidèles. Puis leur travail est nécessaire pour faire vivre le pays et approvisionner l’armée. Au travail, à la tête d’œuvres de guerre ou d’hôpitaux auxiliaires, activistes patriotes ou pour certaines pacifistes, elles sont davantage présentes dans l'espace public, là où il y avait en grande majorité des hommes. Mais pour la plupart des femmes, la guerre est d’abord une épreuve. La situation est encore pire pour celles qui vivent dans les territoires occupés du Nord et de l’Est de la France où la vie est très difficile.

 

Quel a été leur rôle économique ?

La guerre ne met pas les femmes au travail : elles le sont déjà. A l’époque, la France est encore très rurale, il y a beaucoup de paysannes, mais aussi des domestiques, des ouvrières, des travailleuses à domicile… En 1914, les hommes espèrent rentrer pour les vendanges ou au plus tard à Noël. La mobilisation des soldats désorganise l’économie et met les femmes salariées au chômage. Sans maris, les femmes n’ont plus de ressources, l'Etat met en place « l’allocation de femme de mobilisé », une aide modique comparée au salaire d’un couple.

En 1915, on prend conscience que la guerre sera longue. Les femmes doivent remplacer les hommes absents et contribuer à la production d’armements, mais si la main d’œuvre féminine salariée augmente de 20 %, le terme de « remplaçantes » dit le caractère temporaire de la situation. Pour bien des femmes, la guerre est une expérience de surmenage. Dans les champs, elles doivent parfois tirer elles-mêmes les charrues pour remplacer les bêtes réquisitionnées. A l'usine, le travail est très dangereux et les lois sociales sont suspendues : la durée légale de 10 heures de travail par jour n'est plus appliquée et l’obligation d’avoir un jour de repos par semaine est supprimée.

 

Les femmes sont présentes au front via leurs lettres. En quoi cette correspondance constitue une source historique importante ?

Il est indispensable de lire la correspondance des Poilus quand on étudie le conflit. A cause de la censure, il n’y a aucune indication des lieux de combats, mais on y trouve de nombreux éléments sur la vie quotidienne au front et à l’arrière. Aujourd’hui encore, des séries de lettres sont découvertes. De grandes collectes de documents sont organisées et de nombreuses correspondances entre combattants et leurs familles sont publiées. Depuis quelques années en effet, les chercheurs souhaitent écrire une histoire à l’échelle des individus, hommes et femmes.

Infirmières et soldats blessés

Infirmières et soldats blessés

Groupe de militaires blessés et soignés au dispensaire de Viroflay-Chaville. L'Union des Femmes de France, issue de la société de secours aux blessés militaires, pour le secours aux blessés et mutilés de guerre, et le soutien aux veuves et orphelins de soldats, est créée en 1881. L'UFF forme aussi des infirmières pour les soins.

Infirmières du dispensaire

Infirmières du dispensaire

Les infirmières du dispensaire de Viroflay-Chaville. Les soignantes de Viroflay ont été requises pour distribuer de la nourriture et réconforter les soldats qui transitaient par la gare de Versailles-Chantiers pendant la première guerre mondiale.

"Le travail des femmes est nécessaire pour faire vivre le pays et approvisionner l'armée"

Ces lettres donnent beaucoup d’éléments sur la vie quotidienne et sur le rôle des femmes ?

Grâce aux lois Ferry de 1881-1882, la très grande majorité des Français sait lire et écrire. Des millions de lettres sont échangées quotidiennement. Cette correspondance permet aux familles et aux soldats de tenir. Elle entretient la relation amoureuse, maintient les liens avec le monde professionnel : les soldats donnent des conseils à propos des semences et des récoltes, de la gestion de la boutique… En retour, les femmes parlent du travail quotidien, des enfants, des difficultés de la vie… Des marraines de guerre sont créées pour donner une famille de substitution aux soldats des départements occupés qui ne peuvent ni recevoir, ni envoyer de lettres à leurs proches. Ces marraines écrivent régulièrement à leurs filleuls et les voient pendant leurs permissions. L’armée en a soupçonné certaines d’être des espionnes allemandes, mais cela était un fantasme.

 

Les efforts des femmes sont-ils reconnus à la fin de la guerre ? Est-ce que leur statut évolue ?

D’une certaine manière oui mais le caractère émancipateur de l’expérience de guerre est à nuancer fortement. Il y a certes, après le conflit, l’émergence de la figure de la garçonne et l’obtention dans plusieurs pays du droit de vote. Une minorité de femmes, les plus jeunes, issues des classes moyennes ou bourgeoises, ont vu leurs trajectoires de vie modifiée par la guerre. En France, elles sont autorisées à se présenter à l’examen du Baccalauréat en 1924. Comme Simone de Beauvoir, par exemple, issue d’une famille bourgeoise et traditionnelle, dont le père comprend que le monde a changé et ne l’empêche pas de faire des études. Dans le monde professionnel, le secteur tertiaire commence à se féminiser, les diplômes d'infirmière et d’assistante sociale sont créés.

Mais pour la majorité des femmes, la guerre n’a pas amélioré leur statut. Le deuil est omniprésent, les civils ont l’impression d’avoir une dette morale envers les morts. Il n’y a pas une atmosphère propice à l'évolution des rapports entre les sexes. Même si les femmes n'ont pas perdu leurs fils ou maris, certains sont marqués physiquement et moralement par le conflit. En France, l’après-guerre est pro-nataliste, donc peu favorable aux droits des femmes. En 1920, le droit de vote pour les femmes passe à la Chambre des députés mais pas au Sénat, il n’est donc pas adopté, contrairement à la loi de juillet 1920 qui réprime toute information sur la contraception et l'avortement. On tente de contraindre les femmes à être mères, il y a pourtant peu de naissances pendant l’entre deux-guerres. 

 

© Collection Janine Morel

© Collection Janine Morel

Le lieutenant François Thomas et tous les autres

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