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C'est la paix cette nuit de Noël

Les jours passent. Le 24 décembre 1914, au début de la nuit de Noël, le lieutenant écrit sa désillusion. « Le temps des miracles est passé, l’esprit humain a perdu son innocence et a vu tarir en lui toute source de poésie pour consacrer sa puissance créatrice aux œuvres de mort. [...] Bien d’hommes mourront encore cette nuit. » Des cris provenant des tranchées tirent le lieutenant de ses pensées : « Kamerads, c’est la paix cette nuit de Noël. Vous pas tirer ». Les Allemands s’approchent. Les Français sortent de leurs tranchées. « C’est un spectacle extraordinaire de voir face à face, parmi les barbelés, ces adversaires qui, il y a une heure à peine, ne songeaient qu’à s’entre-égorger. Entre les lignes sous la lumière blême d’un quartier de lune des cadavres sont allongés, des Français, des Allemands faces décharnés, orbites caves, tournés vers le ciel étoilé. » La conversation s’engage : les Français méfiants refusent d’accepter l’invitation des Allemands. Des insultes se font entendre, les Allemands retournent dans leurs tranchées et tirent, les Français leur répondent. Cette invitation était-elle sincère ? Le lieutenant espère : « Quelque chose de grand va-t-il se produire ? Non ! Les balles sifflent encore. »

 

Le deuxième carnet de François Thomas s’achève sur un assaut des Allemands qui durera près de deux jours. Le lieutenant est envoyé dans les tranchées : « l’enfer, […] les obus tombent serrés, l’air est rempli de vacarmes, les éclats d’acier et de roche tombent comme grêle ». Les Allemands ont envahi la tranchée française et leurs balles blessent beaucoup de soldats. François Thomas voit certains de ses hommes mourir sous ses yeux et d’autres, fuyant les combats, alors que les tirs allemands font rage. « Un feu terrible, feu de nombreuses mitrailleuses […], explosion de grenades, barrages d’artillerie, bruit qui remplit l’air et le déchire, éclairs et flammes qui incendient la nuit. […] Le spectacle est affreux, partout des morts, les uns déchiquetés, les autres à demi enterrés. ». Le lieutenant Thomas frôle la mort. Un obus tombe sur lui ainsi que sur ses quatre agents de liaison, la terre de la tranchée l’ensevelit. Un de ses hommes, celui qui s’amusait à dire « J’aurais ce salaud de lieutenant », parvient à le dégager à l’aide d’une petite bêche et dit en l’embrassant : « Ah ! Mon lieutenant, on dit toujours des conneries pour épater les copains mais je suis content de vous voir là sans mal. » Les quatre agents de liaison, moins chanceux, ont été déchiquetés par l’obus. Durant ces deux jours d’attaque, trente-trois hommes du lieutenant François Thomas sont fauchés et de nombreux autres blessés.

Cette guerre stupide va continuer des mois des années

Des conditions terribles pour le jeune lieutenant qui, au fil de son journal, s’est dévoilé profondément pacifiste.

Dès novembre 1914, il confie à son commandant que la guerre est sans objet, qu’elle n’a plus aucun sens et qu’il désire voir dès maintenant l’Europe en paix. Un aveu de défaitisme pour ses supérieurs. Des paroles prémonitoires au regard de l’histoire. François Thomas pressent que la guerre va durer longtemps. « Si les nations belligérantes avaient de part et d’autre la moindre intelligence politique et le sens du réel, elles feraient la paix immédiatement […]. Mais elles n’obéiront pas à la loi de la raison, […] cette guerre stupide va continuer des mois et des années. » Quand le commandant de François Thomas rêve des conditions imposées à l’Allemagne : abolition de l’empire, restitution de provinces annexées, notamment de l’Alsace-Lorraine, limitation des forces militaires allemandes, une forte indemnité, prédisant, le contenu de l’armistice signée en 1918, François Thomas lui, s’inquiète « Si les Alliés victorieux [...] accablèrent l’Allemagne, l’humiliaient, la ruinerait, la dépeçait, il ne passerait pas deux générations avant que le peuple allemand tout entier ne se levât en armes pour rétablir son ancienne grandeur et se venger. » Sombre présage.

La paix revenue, il résidera avec Marthe et ses enfants, Jeanne, Yvonne, Jean-François et Paul, à Viroflay au 11 Rue du Docteur Roux, avant de s’éteindre le 13 août 1970. La Ville conserve dans ses archives deux de ses carnets et quelques feuilles éparses. Les autres carnets de son journal intime ont été conservés par sa fille Yvonne. 

Ils nous appellent des héros et ils nous louent

François Thomas raconte aussi la méfiance des militaires envers les civils. « Tous les civils de la zone du Front sont soupçonnés ! […] Aucune sympathie aux soldats campés chez eux », indique le lieutenant, déconstruisant ainsi les mythes patriotiques.

Dans la tourmente de la guerre, le courrier apporte un peu de réconfort. François Thomas attend avec impatience celui de ses proches, de son épouse, Marthe, surtout, qui détaille le quotidien d’une femme devenue soutien de famille et lui donne des nouvelles de ses deux filles : Jeanne et Yvonne. « C’est une émotion toujours grande, toujours neuve de voir ces lettres qui viennent du Pays des vivants. » Le courrier reçu témoigne aussi du fossé qui sépare soldats et civils. «  Ces nouvelles du dehors, de l’arrière, d’un monde qui m’apparaît déjà comme irréel me font sentir ma dure condition de soldat […]. Ils nous appellent des héros et ils nous louent, mais nous sommes des martyrs seulement et nous méritons d’être plaints, car aucun enthousiasme ne vient plus nous exalter au fond de nos tranchées où nous mangeons dans la boue, dormons dans la boue et mourons dans la boue. Quelle sera la condition physique et morale des hommes qui survivront à cet enfer ? »

Mais la guerre est heureusement émaillée d’éphémères moments de bonheur. 30 novembre 1914, un soldat conduit François Thomas avec empressement et excitation chez le cantonnier du village. L’homme a amassé pendant plus de vingt ans des cailloux et menus objets, trouvés dans un champ, qui s’avèrent finalement être des silex, des bijoux, des haches de la période préhistorique. C’est avec émotion que l’agrégé d’histoire géographie touche ces objets d’un autre monde : « Des dizaines de milliers d’années après eux, nous voici, nous soldats d’une nation fière de sa civilisation, revenus sur les mêmes lieux, menant une existence presque aussi misérable que la leur, nous battant non pas avec des flèches et des haches mais avec le fer et le feu. Sommes-nous vraiment plus civilisés que nos lointains ancêtres de l’âge de pierre ? » songe-t-il.

Son courage sera récompensé par la croix de guerre et la légion d'honneur

Blessé très grièvement au moment où il entraînait un groupe de grenadiers pour repousser une attaque, François Thomas est tombé en disant à son lieutenant : «  Prenez le commandement et commandez bien ». Il a fait preuve d’une bravoure à la tête des éléments épars de plusieurs unités. S’est jeté au devant de l’ennemi et a enrayé sa progression. Il recut à ce titre la croix de guerre.

Malgré une blessure causée par un éclat d’obus à Douaumont qui lui fait perdre l’œil gauche, le 24 mai 1916, François Thomas est mobilisé jusqu'au 11 août 1918. 

 

Grâce aux élèves des écoles primaires de Viroflay, revivez certaines journées du lieutenant François Thomas

François Thomas est né le 7 juin 1886 à Damgan (Morbihan), agrégé de l’université d’histoire et géographie. 

Il épousa Marthe née Richard le 19 août 1911 à Périgueux, professeur agrégé des lettres. Ils eurent quatre enfants Jeanne (née en 1912 à La Roche sur Yon), Yvonne (née en 1914 à La Réole), Jean-François (né en 1918 à Chartres),  et Paul (né en 1921 à Tournon sur Rhône).

Au moment de la mobilisation, François Thomas est professeur d’Histoire au Lycée de la Roche sur Yon. Il est mobilisé le 3 août 1914, sa fille Yvonne n'a que que 28 jours.

Départ pour le front le 21 septembre 1914.

Journal de guerre du Lieutenant François Thomas

« Nous mangeons dans la boue,

dormons dans la boue et mourons dans la boue »

 

Le lieutenant François Thomas qui a résidé à Viroflay de longues années, retrace dans son journal de guerre les événements marquants, le quotidien et les pensées d’un jeune agrégé d’histoire géographie, devenu en quelques mois commandant de compagnie dans les tranchées du Chemin des Dames. Son récit du deuxième carnet, conservé dans les archives de la ville, débute le 2 novembre 1914 et se termine le 28 janvier 1915.

« La guerre, la guerre, ce mot revenait dans toutes les conversations […]. » François Thomas débute ainsi son journal, le 1er août 1914, en plein cœur d’un été qui n’aurait jamais dû être bouleversé. « Une angoisse profonde m’étreignait, elle ne venait pas du danger que j’allais courir mais du naufrage de mon bonheur, de la séparation toute proche, de l’adieu peut-être éternel que j’allais faire à ma femme et à mes chères petites », écrit le jeune homme de 28 ans, alors professeur d’histoire géographie à la Roche-sur-Yon

Originaire du Morbihan, François Thomas est envoyé dans les tranchées du Chemin des Dames, dans l’Aisne, près de Laon. Dès le 7 novembre 1914, on confie au jeune lieutenant de réserve le commandement de la 6e Compagnie du 18e Régiment d’infanterie. François Thomas sera promu lieutenant le 10 février 1915.

Du 1er août 1914 au 11 mai 1916, François Thomas consigne par écrit, plus qu’un récit de guerre, son journal intime.

 « 2 novembre 1914, jour des morts. […] Je veille, prêtant l’oreille aux tirs de l’ennemi et appréhendant toujours que l’on vienne m’aviser de la mort ou de la blessure de l’un ou de plusieurs de mes hommes. L’on s’y habitue et on doit s’y habituer, me répète le commandant Challe qui est un parfait militaire. Moi qui suis un professeur de métier et un militaire d’occasion, je crains de ne jamais pouvoir m’habituer aux souffrances et à la mort de mes soldats ! »

En ce début de guerre, les conditions sont certes difficiles mais supportables. La nourriture est bonne, le vin et l’eau de vie sont distribués en quantité, surtout dans les tranchées, pour le moral des soldats et pour leur donner le courage d’aller en première ligne. Malgré cela, les conditions d’hygiène restent difficiles, les poux et les gelures deviennent habituels. Le plus difficile à supporter est la puanteur, mélange des odeurs de graillons de la cuisine, des excréments des hommes et surtout des cadavres, reposant à peu de profondeur dans les tranchées. Les maladies se multiplient. Le lieutenant apprend d’ailleurs dans une lettre envoyée par son frère, Paul, que ce dernier est atteint de la « peste des tranchées » qui se manifeste par des désordres intestinaux, de la fièvre et de violents maux de tête. 

Le commandant du Lieutenant 

François Thomas - Novembre 1914

Remise de la croix de guerre au Lieutenant François Thomas

avril 1915

Découvrez les photographies qui illustrent les carnets du lieutenant François Thomas

" C'est une émotion toujours grande, toujours neuve de voir ces lettres qui viennent du Pays des vivants"

Lettres de François Thomas à son épouse Marthe

" l'enfer, [...]

les obus tombes serrés, l'air est rempli de vacarmes, les éclats d'acier et de roche tombent comme grêle ".

Enregistrements des élèves de CM1A de Mme De Saint Laumer - école l'Aulnette

Enregistrements des élèves de CM2B de Mme Blanc - école Corot

Enregistrements des élèves de CM2A de Mme De Saint Laumer - école l'Aulnette

Enregistrements des élèves de CM2A de Mme Lamaille - école Corot

Enregistrements des élèves de CM2 de M. Romberg - école Aulnette

François Thomas, son épouse Marthe et leurs quatre enfants (de gauche à droite) : Jeanne, Paul,
Jean-François et Yvonne.

© Franck Parisis

Le lieutenant François Thomas et tous les autres

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